"Je commençais à vouloir expliquer qu’il est difficile
de dessiner par une analyse condensée du passage à l’acte dans l’ère actuelle,
quand au retour de la salle de bain, me relisant, je compris que j’étais tout
simplement en train de vouloir expliquer qu’il est difficile de créer. Preuve à
l’appui, cette photo sur laquelle le résultat d’un acharnement nocturne est révélé
à la lumière du jour. Ça m’a pris jusqu'à 3h00 du matin pour réaliser cette
aquarelle que vous ne verrez jamais ailleurs qu’en photo sur ce blog, car je ne
pense pas me tromper en vous disant qu’aucun artiste ne parviendra à la
satisfaisante conclusion que c’est génial, qu’il a hâte de montrer le truc
grisâtre pour recueillir les louanges de ses semblables, qui n’attendaient
qu’une chose, que l’on fasse un tel truc grisâtre pour en finir avec Marcel
Duchamp. De 22h00 à 3h00 j’ai repassé des formes et des couleurs sur des formes
et des couleurs que j’avais jugé trop ceci ou pas assez cela, dans l’angoisse empoisonneuse
d’une technique impardonnable ; résultat : une flaque sans épaisseur
sur un tapis extrêmement plat, très éloignée de ce que j’avais senti au départ.
Puisqu’à cette occasion, contraire à mon habitude d’anticiper tout le processus,
je suis parti un peu léger, avec la vague intuition d’un dessin vibratoire et
éthéré, qui pourrait être toutefois cohérent avec le reste de mon travail. Hélas
je n’ai pas de photo des différents stades vu que je ne pensais pas tirer parti
de cet échec, alors qu’il aurait été intéressant de découvrir le cheminement,
surtout pour les quelques moments où c’était joli. Il faudra que j’y pense à
l’avenir, perdre autant de données ce n’est pas sérieux."
Pierre & Charbon
À la mi-octobre j'ai publié un petit texte, l'histoire d'un dialogue à la fin duquel s'invite un personnage qui va perturber le fil de la conversation.
Extrait:
[..] Petit, lorsque
ses parents lui expliquaient qu’aller souvent au restaurant coûtait cher, alors
qu’il s’enthousiasmait de manger chez le chinois qui décongelait de délicieux
rouleaux de printemps, Pierre n’imaginait pas qu’à l’âge adulte il puisse être
ennuyé de devoir s’attabler quasi quotidiennement au restaurant. Or, il est
probable d’éprouver cette lassitude en tournée. Les petits Tupperware c’est au
début, quand, arrivé dans une ville, on est encore motivé pour acheter des
produits que l’on va préparer dans la cuisine d’un appartement loué par la Compagnie.
Au début on se fait ça, bien gonflé, puis dès la troisième date, le troisième
appartement, le troisième Carrefour market, cela devient fatiguant. Toutes les
options qui permettent de s’alimenter sans effort deviennent alors une issue
pour celui qui, parce qu’il voyage beaucoup, cherche à se ménager. La totalité
des défraiements y passe. Nous pouvons faire ensemble le calcul des frais
réellement impliqués dans la dépense des repas en brasserie, pour savoir si,
comme le disaient les parents de Pierre, ça coûte cher : nous trouverons
certainement que, méthodique ou désordonné, le voyageur conservera à jamais son
statut de précaire qui l’empêche de vivre confortablement. Maintenant, si nous
détaillons le prix total en caisse de deux boites de maquereau Connétable 4€90
+ un paquet de spaghetti Barilla 1€ environ + une sauce arrabiatta Sacla 2€74 +
de l’emmental râpé 1€60, nous obtenons la somme de 10€24 pour deux repas mal
équilibrés. Certes cela est économique, sauf qu’à répétition le corps en
souffre. Pour recréer un semblant d’alimentation saine et variée il faut
ajouter de l’huile, du vinaigre, des œufs, de la farine, du lait, enfin, tout
ce qui fait partie de ce que l’on appelle des provisions chez soi, mais qui
constitue un solide encombrement dans la valise de tournée. Pierre n’en a
jamais vu des comme ça, se trimbaler une cantine de vivres pour trois jours à
Clermont-Ferrand. Il pense avoir fait le bon calcul en mangeant au Stalingrad.
Et puis il se dit que ce devait être ça avant, l’alimentation au Moyen Âge. À
l’époque où le salariat n’existait pas, faire payer un service comme celui de la
restauration, permettait à tous ceux qui n’étaient pas moines, paysans ou
chevalier, de survivre. Et probablement même qu’au tout début du moyen âge, au
temps des Gaulois, le service n’existait pas, les gens fabriquaient eux-mêmes leurs
propres chaussures, jusqu’au jour où un pauvre affamé dépossédé de tout, qui
avait destiné quelques heures de cueillette à fabriquer une deuxième paire de
chaussures, hasarda : « Tiens, ça t’intéresse ? Si tu me donne une
pièce, je te la laisse », inventant par là le concept de rétribution. Cette
pensée suivait Pierre assez souvent, non parce qu’il souhaitait vivre sous
l’égide du Roy, à l’ancienne, mais parce que la vision simpliste de ce principe
économique lui permettait de savourer son plat d’auberge sans se morfondre
d’avoir, par caprice bourgeois, jeté son argent par la fenêtre. Le patron du
Stalingrad est aussi cet affamé qui, il y a mille ans, avait réservé une grosse
part de sa soupe à la vente. Au début, il ne comprenait pas ce qui l’empêchait
d’en préparer davantage pour lui, il n’avait toujours qu’un quart de soupe.
C’est qu’innocemment il faisait quatre avec un, or il fallait transformer un en
deux ! Par bonheur, en rajoutant une épice bon marché, il augmenta le prix
de la soupe, fit profit de la valeur ajoutée, et se retrouva chaque soir devant
une somme d’argent qui, enfin, lui offrait un repas complet. Ça, Pierre qui
lorgnait le plat à 18€, se l’inventa complètement, car si ça faisait beaucoup
pour une bourse comme la sienne, la description rédigée sur le menu était
alléchante, il fallait à grand renfort de clichés trouver ce qui ferait lâcher les
18€.
MOTIVATIF
Attention, cette fois je tiens la recette d’un bon film de science-fiction.
Ça m’est venu alors que j’étais sur une route Sarde, en vacances dans une voiture. Je regardais le paysage, plongé dans les calculs douceâtres d’une fin de journée type pour l’occidental nécessiteux parti trop loin, trop longtemps, sans budget prévisionnel, mais qui pourtant a loué une voiture, a décidé de dormir toutes les nuits sous un toit, que s’il avait bien fait ses comptes, il aurait loué un carton, dormi sur la plage, et n’aurait pas mangé autre chose que sucer un sucre. Quand même bien, donc, au volant des vacances, à profiter d’une vue exceptionnelle sur un dépôt pétrolier isolé au lointain par de vastes terrains secs, quand m’est apparu le concept génial d’un film de science-fiction.
L’énergie et les moyens
qu’il faudrait dépenser pour réaliser un tel film sont hors de ma portée,
pareil pour rédiger les cinq cents pages du roman, pavé fourmillant de
descriptions indispensables à la transposition du lecteur dans un monde
futuriste, type « Il empoigna son zyka, et, déclencha le processus mimétique
des gènes phares de son corps. En une fraction de seconde il était devenu
Isabella, Isabella était devenu lui. » : hors de ma portée. Pourtant,
ce concept que je vais vous expliquer, il faut l’exploiter pour en faire un
succès. Il manque quoi ? deux trois personnages tout au plus, dont celui
qui va quêter le Krombic (admettons), pierre interstellaire sculptée par une
civilisation extraterrestre ultra-avancée, qui une fois possédée permet de régner
sur le cosmos en imposant sa vérité. La vérité du quêteur, c’est le mal
partout. À s’imaginer que s’il réussit son projet, que le mal est partout et
tout le monde est mauvais, il n’y aura plus vraiment de matière à concevoir
autre chose que le mal, et qu’ainsi le mal serait la nouvelle vision du bien.
Sans oublier le héros, ce pourrait être un masculin, la quarantaine, type
occidental nécessiteux, mais du futur, qui va s’opposer à une force dont il ne
mesure pas l’ampleur. Face au quêteur de mal, il serait tout petit au début,
mais grand dans l’âme à la toute fin, car ce n’est pas en imposant une seule
vision, mais en faisant respecter la diversité que l’on réalise un monde
parfait. Je jette tout ça rapidement, bien sûr, le mec habitué à écrire des
fictions arriverait sans peine à développer un panel psychologique des plus
éprouvant, avec son lot de montée descentes qui tiennent en haleine le lecteur,
il faut lui faire confiance. Moi ma partie c’est le concept, le reste, je le laisse
aux connaisseurs.
Alors voilà, voilà ce
que j’ai imaginé en conduisant l’automobile d’un bras alanguit, l’autre pendouillant
à l’extérieur de la portière, mon regard porté vers le site où se situaient au
lointain les silos de carburants, j’ai imaginé que dans le futur, quand le
pétrole ce sera fini et qu’on aura déserté ces sites de stockage pour investir
dans une nouvelle énergie, il y aura des bobos pour transformer les silos en restaurant
ou en bar, comme les anciens entrepôts qui sont parfois aménagés en restaurants
ou en bar aujourd’hui. Donc faut s’imaginer dans ce film de SF, le héros, parce
qu’il a rendez-vous avec un énigmatique personnage pour organiser la
résistance, se diriger vers un silo, et nous on découvrirait qu’à l’intérieur c’est
un restaurant. Normal, il avait rendez-vous au restaurant.
ART PRESS
Voici à cru, un texte que j’ai rédigé pour Fête locale, un livre de
Marine Peixoto. Je vous invite à découvrir son travail ici.
Plus loin dans ce livre, la photo de la chaussette me replonge dans l’embarrassant souvenir de nos têtes nues douchées par la pluie, à l’époque où nous pensions grandir grâce aux cheveux mouillés. L’innocence d’alors pilotait nos coeurs à braver les parents, la nature et la capuche, dans un chavirement excessif d’amour-propre. En théorie, le court passage d’une vie dans les torrents suffirait à prouver que, comme les dieux, on ne fond pas sous l’eau. Mais, l’enfant qui délire un monde fait d’adultes s’offrants le bonheur de sortir aux premières gouttes sans parapluie, découvrira plus tard que le truc des cheveux mouillés ça ne fait rien pousser. Ça, comme pleins d’autres choses. À l’approche de sa mort, aux alentours de 70 ans, l’enfant comprendra aussi que boire de l’alcool, posséder des objets, avoir des certitudes ou des smartphones dans les chaussettes, ça ne transforme pas un être en individu responsable. Pourtant, toute la vie, il va y avoir des costumes, des accessoires, et l’on célébrera ces costumes et ces accessoires dans des réjouissances où s’immortalisent les plus belles et les plus beaux d’entre nous.
Dans Fête locale de Marine Peixoto on voit des personnes jouer avec des animaux. Lors des fêtes votives qui ponctuent le calendrier estival des villages du Languedoc, moyen de perpétuer la tradition taurine, on réveille les fiers-à-bras et les bêtes dont les membres se sont engourdis durant l’hiver. Les gardians à chevaux sortent les taureaux des enclos, enclos qui les protègent habituellement des humains, puis les acheminent par camions dans les ruelles où ils sont lâchés. Derrière des barrières les gens se protègent au passage des taureaux. Tandis que les plus fous s’interposent, et provoquent l’animal dans l’unique but d’en stopper la course. Cela s’appelle une enciero.
Originaire de cette région, j’ai, comme Marine, connu le folklore des taureau-piscines, des abrivado ou autres bandido. Nul besoin pourtant d’avoir gouté à tout ça pour trouver que dans cette série de photos, sous la bannière du folklore international, ce sont toujours les mêmes rites qu’on organise. Ici, à Saint-Gély-du-Fesc : se promener torse nu, rire fort, braver les taureaux, cerne d’un autre contour la farce du Naadam en Mongolie, ou encore des cérémonies de Teotihuacán au Mexique. Ce phénomène « devenir magique comme Johnny » est semblable dans toutes les strates de toutes les sociétés de la planète, et pour raccourcir la longueur de ma thèse sociologique, je dirais que chez l’être humain débute à douze ans la vie d’histrion qu’il s’est inventé. Pour preuve : celles et ceux qui désirent passer d’une réalité à une autre en Hérault ou dans le Gard ont jusqu’à cet âge pour devenir adultes. Dès lors, ils empruntent les apparats plus ou moins significatifs d’une tradition taillée au bulldozer, et pour en garantir la couleur Camargue, enfilent un smartphone dans la chaussette, qui, bien qu’il y ait une raison à cela pendant la campagne municipale, est ôté le reste de l’année. Ces ambianceurs du faux-sérieux je les croyais tout d’abord souverains. Par la suite je les ai connus faibles, démunis, dépossédés de toute richesse, et n’ayant pas le courage de les conserver dans mon coeur, je m’en suis détourné. Maintenant si je rentre petit au pays, c’est grâce au travail retenu que nous livre Marine. Ces photos veillent sur des habitants qui veulent être heureux le temps d’une fête, elles sont en l’état des objets d’une grande simplicité. Les choses qui apparaissent, demeurées pures, se détournent de toute ambition ; les observer reviendrait presque à en détourner le sens. Sûr alors, que toute cette population est en réalité merveilleuse, et que comme une forêt, il ne faut pas critiquer ce qu’elle fait, mais seulement regarder ce qu’elle est.
Dans Fête locale de Marine Peixoto on voit des personnes jouer avec des animaux. Lors des fêtes votives qui ponctuent le calendrier estival des villages du Languedoc, moyen de perpétuer la tradition taurine, on réveille les fiers-à-bras et les bêtes dont les membres se sont engourdis durant l’hiver. Les gardians à chevaux sortent les taureaux des enclos, enclos qui les protègent habituellement des humains, puis les acheminent par camions dans les ruelles où ils sont lâchés. Derrière des barrières les gens se protègent au passage des taureaux. Tandis que les plus fous s’interposent, et provoquent l’animal dans l’unique but d’en stopper la course. Cela s’appelle une enciero.
Originaire de cette région, j’ai, comme Marine, connu le folklore des taureau-piscines, des abrivado ou autres bandido. Nul besoin pourtant d’avoir gouté à tout ça pour trouver que dans cette série de photos, sous la bannière du folklore international, ce sont toujours les mêmes rites qu’on organise. Ici, à Saint-Gély-du-Fesc : se promener torse nu, rire fort, braver les taureaux, cerne d’un autre contour la farce du Naadam en Mongolie, ou encore des cérémonies de Teotihuacán au Mexique. Ce phénomène « devenir magique comme Johnny » est semblable dans toutes les strates de toutes les sociétés de la planète, et pour raccourcir la longueur de ma thèse sociologique, je dirais que chez l’être humain débute à douze ans la vie d’histrion qu’il s’est inventé. Pour preuve : celles et ceux qui désirent passer d’une réalité à une autre en Hérault ou dans le Gard ont jusqu’à cet âge pour devenir adultes. Dès lors, ils empruntent les apparats plus ou moins significatifs d’une tradition taillée au bulldozer, et pour en garantir la couleur Camargue, enfilent un smartphone dans la chaussette, qui, bien qu’il y ait une raison à cela pendant la campagne municipale, est ôté le reste de l’année. Ces ambianceurs du faux-sérieux je les croyais tout d’abord souverains. Par la suite je les ai connus faibles, démunis, dépossédés de toute richesse, et n’ayant pas le courage de les conserver dans mon coeur, je m’en suis détourné. Maintenant si je rentre petit au pays, c’est grâce au travail retenu que nous livre Marine. Ces photos veillent sur des habitants qui veulent être heureux le temps d’une fête, elles sont en l’état des objets d’une grande simplicité. Les choses qui apparaissent, demeurées pures, se détournent de toute ambition ; les observer reviendrait presque à en détourner le sens. Sûr alors, que toute cette population est en réalité merveilleuse, et que comme une forêt, il ne faut pas critiquer ce qu’elle fait, mais seulement regarder ce qu’elle est.
Pierre-Guilhem
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