Dans la cuisine il y a
deux hommes et une femme qui regardent un presse-agrume électrique. C’est mon
papa ma maman et un de mes oncles. Cet oncle je l’associe à de rares souvenirs
puisque, hors de mon monde, nous n’avons fait ni lui ni moi la démarche de
déplacer la barrière. Toutefois j’ai transposé en lui le modèle d’un funk
électronique et lumineux dont je croyais le monde fait enfant, par paresse
peut-être, mais aussi par plaisir. Car ce plus jeune des frères de ma maman suscitait
mon admiration au début de mon existence pour des raisons matérielles que je
devais convoiter alors, et plus précisément pour l’environnement qu’il s’était
fabriqué en marge de sa fratrie que je jugeais plus ringarde. Sa voiture comme
la déco de son appart me paraissaient être de bonnes idées, juchées sur les
valeurs esthétiques à la mode, et me faisaient goûter, d’autant que mes parents
ne les respectaient pas, aux prémices d’une liberté de vivre. Les lumières
artificielles qui se reflétaient sur le mobilier, sans doute d’une autre
couleur que le marron qui m’était trop familier, m’emportaient dans de grandes
villes américaines ou japonaises, au sein d’une activité humaine incroyablement
divertissante. Or voilà, ces fantasmes se sont pétrifiés aussitôt que j’ai
grandis, et plus rien ne concorde aujourd’hui lorsque je le revois interdit
face à l’appareil électro-ménager que mon père vient d’acheter pour ma mère,
tapotant d’une main la coque de plastique, obligé d’en considérer l’avancée
domestique.