Envol fatigué.

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Oiseau. Plâtre, chaise. 2015

ART PRESS


En décembre 2015, reçu chez Nadia Agnolet, j'ai été touché par la beauté du travail qu'elle avait accompli seule dans la cave de son immeuble. Lors de ma visite, des tubes de peinture achetés en magasin sèchent négligemment à terre, une lame de scie sauteuse repose sur un carton, et rien d'autre. Un coup d’œil sur la grande sculpture qui s'élève dans la force d'une lumière artificielle interrompt mon expertise de bricolo - je n'ai vu que de petits objets mal rangés au sol alors que s'opposait devant moi un chaos bienveillant. Assemblés brutalement, les panneaux qui recueillent des morceaux de matériaux glanés ça et là sont à couper le souffle. Sur ce retable boursouflé une seule logique ordonne les éléments: parfaire l’harmonie des couleurs à la logique des formes, tant pis pour la vis qui dépasse ou pour le bout de bois qui au prochain voyage se sera décollé. Indifférente aux soucis techniques, elle fait sortir de son esprit les questions encombrantes de conservation. La disposition d'un triangle jaune ou d'un rond bleu dépend uniquement de la composition, pas de la colle utilisée - rare de notre temps. De ses dessins résulte le même sort: au sol, chiffonnés.
Ni chaise ni table dans la pièce qui lui sert d'atelier à l'intérieur de son appartement. En tous cas, dans mon souvenir il y a peut être un plan horizontal, mais d'espace de travail comme on l'entend, aucun; elle doit dessiner à genoux ou un truc du genre. Là encore, la même vision d'un lâcher-prise occasionnel. Peut-être qu'il eût fallut un jour particulier provoquer un accident, pousser d'un revers de main le fatras de formes mélangées aux couleurs flairé depuis longtemps. Venu du plus profond de sa quiétude, ce besoin de satisfaire un plaisir curieux en conscience des éléments adverses, comme le timide dans un couloir pince du bout des doigts les cordes d’un instrument avant qu’on l’invite à pénétrer dans le salon, aurait alors provoqué une légère vibration qui, se faisant ressentir au loin, suggère toujours le vacarme.
Je crois que c’est perceptible par tout le monde. Derrière ses gestes sans arrière-pensée, sculptures ou dessins, on trouve la sagacité du musicien de couloir qui nous honore par l’éclat de sa retenue. Juste à cet endroit, Nadia prépare ses œuvres sur un fil qui sépare faire et commettre.